Lettre ouverte : Nos féminismes seront transinclusifs ou ils ne seront pas

Lettre ouverte du 25/07/2019: Nos féminismes seront transinclusifs ou ils ne seront pas

Ces dernières semaines, le collectif a reçu des mails de plusieurs personnes se questionnant sur l’inclusivité des personnes trans, non-binaires, intersexes pendant le rasssemblement organisé fin septembre. Ces mails pointaient le fait que les textes n’étaient pas toujours hyper clairs concernant la mixité choisie : bien qu’une mixité trans/queerinclusive soit mise en avant, l’identité qui ressortait le plus dans ces écrits était celle de femmes, et spécifiquement celle de femmes cisgenre*.

Des réponses ont été envoyées à ces personnes, mais certain.e.s d’entre nous avaient envie de faire quelque chose de plus collectif et public de ce qui est en train de se passer.

Tout d’abord, on souhaite présenter nos excuses à celleux que l’on a pu blesser par les formulations utilisées.

Nous sommes sincèrement désolé.e.s (inquiet.e.s, effrayé.e.s, en colère, enragé.e.s, et profondément tristes aussi) d’avoir pu participer à reproduire une oppression queer/transphobe qui mutile l’âme et le corps de tant chaque jour.

Nous sommes énervé.e.s contre nous-mêmes que le collectif ne se soit pas suffisamment confronté à ce qui avait posé problème à certain.e.s depuis le début : le groupe étant composé quasi entièrement de femmes et meufs cisgenre, la question de la transphobie, que nous pouvions éventuellement (re)produire, n’a pas été sérieusement soulevée collectivement (parce que oui, la transphobie est partout et on l’a incorporée aussi, notamment parce qu’on ne la subit pas).

Le collectif est jeune (peut-être même que le terme collectif, pour qualifier ce que l’on est, est un peu fort) : les individu.e.s de ce groupe se sont retrouvé.e.s parce qu’iels avaient envie de créer un événement à la fois anti-nucléaire, écol.o.x.a, féministe, mais ne se connaissaient pas, pour la plupart, avant les premières réunions.

Il y a un certain nombre d’enjeux sur lequel on aurait voulu passer plus de temps, notamment sur notre implication et notre responsabilité concernant la mixité que l’on souhaite, sur les rapports de domination pouvant se reproduire entre les personnes du groupe et aussi avec les personnes que l’on invite, comme par exemple le racisme, le classisme, le validisme, etc. On sait pourtant que ces discussions sont cruciales. Quand on a pour ambition de faire un évènement inclusif, et quand on crée un collectif composé de personnes venant de divers horizons, qui peuvent subir d’autres discriminations que le sexisme dans leur vie, c’est bien de se pencher sur ses privilèges, c’est la base.

Une mixité choisie entre femmes, meufs, gouines, trans*, non-binaires et intersexes était la seule mixité possible selon nous, principalement pour trois raisons :

* Pour certain.e.s du groupe il était impensable d’envisager un évènement mixte et doublement inimaginable de participer à un évènement cis-hétéro normé ;

* Parce que le constat avait été posé que les collectifs/mouvements écolo/environnementaux/climat manquent de conscientisation à propos des rapports de domination. L’idée d’une mixité choisie sans hommes cisgenre était une occasion de pouvoir marquer à la fois nos engagements féministes et environnementaux au sein d’un seul évènement, et de laisser percevoir que d’autres formes de luttes pour la justice climatique sont possibles ;

* Parce que la transphobie et l’homophobie de la société en générale, et plus spécifiquement de certains milieux féministes et écolos, sont insupportables. Il nous est inconcevable de revendiquer un féminisme et une écologie sans le respect des êtres vivant.e.s et de leur autodétermination. Il nous est impossible de penser une écologie liée au féminisme sans penser à la démolition du système hétérosexuel, et des catégories de genre. Nous rejoignons les mouvements qui luttent, conjointement, contre les dominations patriarcales, coloniales et environnementales.

Comment appeler à cette mixité choisie transinclusive partant de là ? Les maladresses et erreurs viennent de la peur pour certain.e.s d’exclure des personnes « n’ayant pas les codes », notamment des habitant.e.s du coin qui font partie des (très) proches de certain.e.s d’entre nous, en utilisant des termes comme cis ou trans.

C’est difficile de dire où en est chacun.e des membres du collectif aujourd’hui, mais nous sommes d’accord sur un point : refuser d’utiliser ces termes, ne pas les assumer, c’est continuer à invisibiliser une oppression systémique, c’est exclure des personnes d’un espace où iels ont bel et bien leur place, c’est considérer que les gen.te.s ne sont pas capables de comprendre aussi. La pluralité des genres et des identités n’est pas un truc foncièrement blanc et élitiste, ni quelque chose de moderne et de citadin. Partout, des gen.te.s ont besoin de visibilité, d’écoute et d’éducation vis-à-vis de ces sujets. Le manque d’information, de reconnaissance et de soutien amène à l’isolement et met réellement en danger la vie des personnes aux identités et amours non-normés.

En d’autres termes, ce serait ré-enclancher des logiques transphobes, homophobes et classistes dans l’organisation de cet évènement que de prendre à la légère le cissexisme*.

Nous tenions à remercier très fort celleux qui se sont senti.x.s de nous écrire alors qu’iels auraient juste pu ignorer cet événement duquel iels se sentaient potentiellement exclu.x.s. Merci pour la pédagogie déployée, merci pour le temps passé, merci pour votre générosité, et merci de nous avoir mis le nez dans notre merde (avec classe) et de nous avoir permis de clarifier des choses entre nous.

Ces mails, ça a fait l’effet d’une bombe au sein du groupe. Et c’est tant mieux. Ça a même été un fort soutien pour certain.e.s. Cela nous montre encore une fois le travail de conscientisation que les allié.e.s, et malheureusement aussi les personnes concernées, doivent effectuer dans des luttes écolos et féministes. Nous le regrettons et souhaiterions que les personnes concernées n’aient pas la responsabilité de prendre de leur énergie pour conscientiser les autres.

Depuis, le groupe a repris les textes, envoyé des erratums là où il le fallait on l’espère. On réfléchit, taf, pour essayer de vraiment créer un espace inclusif pour toutes les personnes en septembre (avec un petit livret d’accueil qui fera la pédagogie de base, des personnes à aller voir si un quelconque problème, entre autres). On se met au travail, individuellement et collectivement, pour se former, apprendre, avancer sur ces questions – on vous propose des ressources ci-dessous pour celleux qui veulent participer à cet empouvoirement collectif.

On n’a pas la volonté de se targuer d’une étiquette de super écolo.a.x.s ou super féministes, ce texte naît de nos erreurs, il a comme premier objectif de présenter nos excuses.

Ces manques nous obligent à ré-animer nos façons de faire et de penser, à nous déplacer, nous décentrer, écouter vraiment y compris les chuchotements et colères, pour se retrouver à des nouveaux endroits d’inconfort pour certain.e.s, et c’est tant mieux (indispensable en fait). Il ne s’agit pas de se flageller mais de se libérer ensemble en poussant les murs dedans et dehors toujours plus loin. On souhaiterait que ce texte aide chacun.e dans ce processus.

<3

Signé : Des personnes du collectif des Bombes Atomiques

Ressources Pédagogiques

Cisgenre: En occident, le genre est representé de façon binaire et sur des critères biologiques, à savoir un.e nouveau né.e avec un pénis est dit garçon et un.e nouveau né.e avec vulve et utérus est dite fille. Le mot cisgenre définit les personnes qui sont en accord avec le genre qui leur à été assigné à la naissance.

Trans*: Le mot trans est un terme parapluie qui regroupe toutes les identités de genres qui ne se retrouve pas dans la cis-normativité.

Nous vous invitons à vous rendre sur l’instagram de Lexie pour du matériel pédagogique à ce sujet: https://www.instagram.com/aggressively_trans

Intersexe: Intersexe est un terme coupole englobant les expériences d’être né.e avec un corps ne correspondant pas à ce que la société attribue au masculin et au féminin.

Cette définition a été rédigé par l’organisation internationale intersexe – Europe

Voici le matériel pédagogique proposé par le « collectif intersexe et ses allié.e.s » à ce sujet : https://cia-oiifrance.org/2019/05/01/materiel-pedagogique/

On parle à plusieurs reprises de queer/transphobie dans ce texte. La queer/transphobie, c’est la façon dont notre société est organisée autour de l’exclusion, du rejet, de la peur, pouvant aller jusqu’à la mise à mort, de toutes les personnes qui ne se reconnaissent pas dans la bicatégorisation expliquée ci-dessus, et dont les orientations sexuelles/romantiques sont également considérées comme déviantes. La queer/transphobie est une oppression systémique (comme le racisme, le mépris de classe, le validisme, le sexisme, etc.) : cela veut dire qu’elle est reproduite par toutes les institutions de notre société (l’école, les médias, la police, la justice, notamment) et que de ce fait elle façonne également les représentations individuelles de toutes les personnes, concernées ou non, à moins d’y travailler.

Autres matériels pédagogiques concernant les transidentités :

(les listes qui suivent ont été construites avec nos sensibilités et ce qui nous a été envoyé ; nous vous invitons a vous informer de vos côtés, à trouver d’autres ressources !)

Comment mieux s’adresser aux personnes transgenre :

https://simonae.fr/militantisme/lgbt/guide-pratique-conseils-communiquer-personne-transgenre/

Une brochure, “Les garçons délicats”, qui recense des témoignages de personnes trans masculine ou non-binaires assignées meufs à la naissance : https://share.riseup.net/#S0afxRxBJy2rs63RoUQksw

« Le privilège cissexuel » de Julia Serano : https://infokiosques.net/spip.php?article884

La chaîne youtube de Princ(ess)s – LGBT :

https://www.youtube.com/channel/UCbIOqOXBjp4QYNL2CGRDXLg/featured

La chaîne youtube de Alistair – h Paradoxæ, voici la vidéo ou iel fait son coming out non binaire :

https://www.youtube.com/watch?v=vCivZ7BoDF0&t=211s

La chaîne youtube de La Feuille Blanche, femme trans nous partageant son parcours :

https://www.youtube.com/channel/UCiEoluky28Md2PaV4h69lYA

La série de vidéos “Je suis trans” de Queer Chrétien(ne) :

https://www.youtube.com/watch?v=00w-b3DcNfA

Ressources pédagogiques concernant l’inclusivité des personnes trans* dans le milieu féministe:

Une décalaration pour un féminisme et un womanisme trans*-inclusifs :         https://feministsfightingtransphobia.wordpress.com/french-translation/

Le texte « Pourquoi le terme Femme* ne nous suffit pas» :

https://iaata.info/Pourquoi-le-terme-Femme-ne-nous-suffit-pas-3468.html

Des articles sur le blog “la vie en queer” concernant les milieux féministes et les diverses manifestations de transphobie :

https://lavieenqueer.wordpress.com/2018/06/24/transphobie-dans-le-mouvement-feministe/

https://lavieenqueer.wordpress.com/2018/06/24/le-feminisme-exclusif-des-personnes-trans/

Concernant l’intersection du féminisme, du colonialisme et de l’écologie: 

Aux femmes qui luttent dans le monde entier – De la part des femmes zapatistes :

https://www.anti-k.org/2019/03/18/lettre-des-femmes-zapatistes-aux-femmes-qui-luttent-dans-le-monde-entier/

“Nos échos féministes”, du collectif Pieds de biches : https://feministesjusticeclimatique.wordpress.com/2017/07/16/nos-echos-feministes/