Hommage à la biche…

 

Le laboratoire de l’Andra se dresse au loin, impénétrable, imperturbable. Alors, c’est là qu’ils travaillent, ingénieurs, flics, avec leur arsenal de destruction massive et leur cynisme « bien pensant ». Car « il faut bien… », rétorquent-ils en boucle et en système «…faire quelque chose de ces déchets ». «…alimenter le pays en électricité » «…armer la nation » «…faire du profit ». Qu’enterrer ces déchets soit un moyen de cacher (jusqu’à la prochaine catastrophe) la logique meurtrière qui les produit, leurs dispositifs policiers, légaux, judiciaires, sont là pour le nier. C’est à peine, lorsque nos flammes s’élèvent face à eux, s’ils jettent un œil à travers les vitres de leurs bureaux climatisés, ne serait-ce que pour regarder la forêt qu’ils s’apprêtent à détruire. Nos corps à demi nus, nos cris saccadés, nos pieds qui frappent le sol… si « nul ne sait ce que peut un corps », un corps en vie, en revanche, sait ce qu’il peut accepter ou non : nous ne les laisserons pas tranquilles. Au nom des formes de vie qu’ils menacent, au nom des corps sensibles qu’ils bafouent, nous dansons, chantons, crions, rions.

…Les flammes finissent par se taire… Le temps arrête de tourner autour d’elles. À part nos poitrines et nos peaux, le monde alentour semble être resté insensible à notre présence. Les bureaux demeurent, impassibles, leurs dossiers bien rangés, leurs projets bien ficelés. Leurs murs ne s’écroulent pas, ne nous voient pas. Les flics ne bougent pas. Pas même un bouclier, ni un talkie-walkie. Pas un murmure. Pas un sourcillement.
Qu’attendions-nous ? Sommes-nous sérieu.ses.x ?
Nos danses de « bonnes femmes » prétendent-elles faire trembler leur  arrogance ?
Leur sentiment de toute-puissance, finalement, n’est-il pas légitime ?

Le feu ne suffit pas à satisfaire notre colère : nous voudrions plus.
Nous voudrions qu’ils sachent que l’heure est grave, qu’on ne plaisante pas, que nos danses sont aussi animées par l’effroi qu’ils nous inspirent. Que nos points de vue comptent. Qu’ils aient peur, eux aussi.
Qu’ils aient peur…

Et la biche apparaît. Rousse, sa course dans le champ sec. Ligne de fuite entre « eux » et « nous ». Comme pour inverser le rapport de « forces ». Comme en écho à celles qui nous traversent, puissantes, gracieuses, indomptables. Ses muscles libres se déploient en direction du laboratoire et de ses flics. Ils ne lui tirent pas dessus. Il croient que les autres ne font pas partie de l’histoire. Encore un signe qu’ils ne comprennent rien. Mais à ce moment précis, nous nous en réjouissons. Son mouvement résonne comme un appel depuis l’autre côté de la lisière du bois – appel à toujours écouter nos chairs vibrantes – appel à nous défendre par elles et pour elles – appel à ne jamais se sentir abandonné.es par la terre, et à ne jamais l’abandonner en retour. Et si leur arsenal de guerre se fait de plus en plus féroce, le monde n’est pas mort pour autant, nous dit-elle – il offre d’autres, mille autres possibles que leur froideur monstrueuse. Et ces possibles, nous allons les reprendre, les tisser, les répandre. Qu’ils l’entendent ou non, le message passe à mesure de sa course, de nos sourires partagés, de nos danses et de nos échanges pendant ces deux jours ensemble.

Merci à la biche. Merci aux bitches que nous sommes !